Jusqu’où ira la flambée des cours de l’or ?

Les raisons d’investir dans l’or, valeur refuge, ne manquent pas. La hausse des cours devrait se poursuivre cette année.

Le trou d’air de la fin de l’année 2011 n’est plus qu’un lointain souvenir. Depuis janvier, l’or brille à nouveau. Même s’il reste volatil, le cours de l’once a déjà gagné près de 9% (cours du 5 mars 2012). Il tutoie les 1700 dollars, après être tombé à 1584 dollars l’once mi-décembre. «Le rebond des cours depuis quelques mois signifie que les investisseurs ont conscience que même si les choses vont mieux, les problèmes ne sont pas encore réglés», explique Raphaël Dubois, gérant de fonds chez Édmond de Rothschild AM. En ce début d’année, les sujets d’inquiétude restent nombreux. Malgré le dernier plan d’aide à la Grèce, les problèmes de dettes souveraines ne sont pas encore entièrement résolus; l’Europe sera en récession modérée en 2012 et les tensions géopolitiques se multiplient (Iran, Syrie…), contribuant à la flambée des cours du pétrole. «La forte hausse des cours du pétrole et l’afflux de liquidités sur les marchés font planer un risque d’inflation à moyen terme. Les investisseurs utilisent l’or, actif réel, comme une prime d’assurance contre une possible hausse des prix qui ne s’est pas encore matérialisée», explique Jean-Bernard Guyon, conseiller chez Commodities AM.Le métal précieux semble donc parti pour enregistrer en 2012 une douzième année consécutive de hausse (les cours ont été multipliés par cinq depuis 2000!). «Bien que l’or soit devenu plus volatil, l’actif conserve son statut de valeur refuge. Les interventions inévitables des Banques centrales des pays développés constituent le moteur fondamental de l’augmentation du cours de l’or, vers 3000 dollars à moyen terme», estime Christophe Donay, responsable de l’allocation d’actifs et de la recherche économique chez Pictet. Pour Jean-Bernard Guyon ou encore Xavier Le Blan, gestionnaire chez Prim’Finance, l’once pourrait toucher les 1900 ou 2000 dollars dans les mois qui viennent!

Les pays émergents diversifient leurs réserves de change

D’autant que la demande reste importante (4067 tonnes en 2011, au plus haut depuis 1997) et l’offre limitée (2809 tonnes d’or extrait des mines l’an dernier). Les Banques centrales des pays émergents, dont principalement la Chine, devraient ainsi continuer à stocker massivement le métal précieux. En 2011, elles en ont acheté près de 440 tonnes. Du jamais-vu depuis 1964. La crise de la dette en Europe comme aux États-Unis en 2010 et en 2011 les a incitées à rechercher une valeur refuge. Avec l’or, elles diversifient leurs importantes réserves de change, principalement investies en dollars. «L’or est considéré comme une monnaie de réserve. La seule dont la valeur n’est pas tributaire de décisions politiques», explique Raphaël Dubois.Les particuliers ne sont pas en reste. L’an dernier, malgré des prix élevés, ils sont restés friands de bijoux en or (1962 tonnes destinées à la joaillerie en 2011, en recul de 3%). En France comme ailleurs, ils ont aussi acheté beaucoup de pièces et de lingots, surtout au plus fort de la crise. Aux États-Unis, la demande de pièces a été telle que la fonderie nationale a eu ponctuellement du mal à assurer les livraisons.

Pièces ou lingots?

L’or, idéal pour se prémunir contre l’inflation, reste un placement volatil. Crédit Photo : Ken Welsh/www.jupiterimages.com

L’épargnant peut choisir d’investir dans l’or physique sous forme de pièces, lingots ou lingotins (1 g, 50 g, 100 g, 250 g et 500 g). Les Français en sont friands. Ils détiendraient le plus gros bas de laine d’or après les Indiens. En trois ans et demi, Cortal Consors, par exemple, a vendu sur son site internet 400 lingots (42.470 € le 20 février) et 40.000 napoléons (256,80€ le 20 février). Le succès est aussi au rendez-vous des lingotins de CPoR Devises. Cependant, la demande, qui était élevée l’an dernier, au plus fort de la crise des dettes souveraines, s’est calmée. En ce début d’année, il semblerait même que les particuliers soient plus nombreux qu’à l’accoutumée à vendre leurs napoléons, dont la prime (différence entre le prix de l’or de la pièce et le prix négocié) a chuté. Détenir de l’or physique occasionne des frais parfois supérieurs à ceux des autres placements. Outre des commissions bancaires et autres primes, il faut aussi penser aux possibles coûts de stockage (dans les coffres d’une banque). Sans oublier la fiscalité: l’investisseur est soumis à une taxe forfaitaire de 8% lors de la vente de son investissement. «Attention, prévient aussi Xavier Le Blan, gestionnaire de fonds chez Prim’Finance, les cours de l’or sont assez volatils. Contrairement à ce que certains pensent, ce n’est pas un actif entièrement sans risques.»

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On l’appelle «la Souterraine». C’est dans ce lieu ultra secret – un hectare sous terre au cœur de Paris – que se trouve notre trésor national. En voici des photos, jamais vues auparavant.

C’est l’un des endroits les plus sécurisés de la République. Sise au huitième sous-sol de la Banque de France, dans le Ier arrondissement de Paris, «la Souterraine», une spectaculaire salle-bunker de 11.000 mètres carrés, abrite entre ses 658 colonnes les réserves en or de la France: 2435 tonnes de métal précieux, en pièces et lingots. Au cours actuel de l’or, le magot national s’élève à plus de 110 milliards d’euros. Après les Etats-Unis et l’Allemagne, la France est, au coude à coude avec l’Italie, le troisième détenteur d’or au monde. Mais que les braqueurs se ravisent, le temple de Saturne est inviolable.

La porte blindée pèse 7 tonnes et ouvre sur des rails.Crédits photo : © BANQUE DE FRANCE Arnaud FRICH

L’entrée se fait au 20 rue du Colonel-Driant. Il faut d’abord obtenir un badge d’accès. Les visiteurs et leurs effets, flanqués d’agents de la sécurité, sont ensuite scannés. Sur le toit de l’immeuble, l’ancien tour de garde dessine un chemin de rambardes métalliques. Dessous, c’est le royaume des milliards. On arrive au quatrième sous-sol en ascenseur. Une pièce vide propose un vestiaire pour les visiteurs. Puis une porte blindée de 7 tonnes ouvre sur des rails au bout desquels attend un bloc de ciment de 17 tonnes. Aux heures de fermeture, il viendra se loger dans une tourelle pivotante de 35 tonnes, formant un indestructible verrou. L’accès à la Souterraine se fait par un deuxième ascenseur. Huitième sous-sol. A nouveau une porte blindée, à nouveau un bloc de ciment sur rails. On arrive dans un univers d’esthétique carcérale. Un sol de carrelage ocre, un long couloir pâle débouchant sur une grille. Cette dernière passée, on aperçoit enfin les colonnes et le sol à damiers.

La Souteraine compte 658 colonnes.Crédits photo : © BANQUE DE FRANCE Arnaud FRICH

Au fil du temps, pour améliorer encore la sécurité, la salle a été murée. Dans les cloisons, entre les colonnes, des portes, encore, barrent l’accès. On les ouvre avec deux clés différentes. L’une d’elles est aux mains du contrôleur, l’autre dans celles du caissier. Ils sont accompagnés d’un agent de caisse. Derrière les portes, il y a les serres. Elles abritent des chambres fortes dans lesquelles repose, immobile, l’or de France. Pas un déballage de lingots comme on l’aurait espéré. Non. Presque invisible, le trésor est conditionné en palettes, en boîtes ou dans des armoires métalliques. Il attend, sécurisé à l’extrême, dans l’une des constructions parmi les plus gigantesques jamais réalisées en France.

La tourelle pivotante est le clou de la construction de la Souteraine.Crédits photo : Jean DERENNES/Direction de la Communication

La décision de construire une nouvelle salle forte est prise vers 1920. Elle suit les bombardements de Paris en 1870, puis ceux de la Première Guerre mondiale. S’ajoute la crainte d’une occupation ennemie ou d’une insurrection populaire. La casemate doit être imprenable. Les travaux démarrent en 1924. De mai 1924 à novembre 1927, 1200 ouvriers se relaient jour et nuit sur le chantier. Par 20 mètres de profondeur, ils retireront 150.000 mètres cubes de remblais et utiliseront 10.000 tonnes d’acier, 20.000 tonnes de ciment et 50.000 tonnes de sable – cette construction sera primée, dix ans plus tard, à l’Exposition internationale de Paris.
Outre les serres à or, les coffres et les chambres fortes, une partie de la Souterraine est équipée de cuisines, de lavabos et de frigorifiques. En cas de conflit, 3000 personnes peuvent s’y réfugier. Un lieu spectaculaire. Autorisé à le visiter, Stefan Zweig écrit en 1932: «Le paradis et l’enfer de Dante possédaient sept cercles ; les caves de la Banque de France, elles, en ont peut-être davantage encore», parlant aussi «d’un trésor que ni César ou Crassus, ni Cortés ou Napoléon, ni tous les empereurs et les grandes familles de cette planète, ni aucun mortel depuis le commencement des temps n’ont jamais vu réuni.»

Pour être traçable, chaque lingot porte l’écusson du fondeur affineur ainsi qu’un numéro et un poinçon.Crédits photo : BANQUE DE FRANCE ASSAILLY Pascal

Mais à quoi sert aujourd’hui une telle réserve d’or? «L’or est une valeur refuge, explique Denis Beau, directeur général des opérations. Comme réserve de valeur il contribue à garantir la crédibilité monétaire. C’est surtout un actif de diversification qui permet de réduire l’exposition au risque de change du dollar – une part importante des réserves françaises est en dollars. On a constaté que le cours du dollar est généralement inversement proportionnel à celui de l’or.»

Le trésor français est aussi composé de 115 tonnes de pièces dont la moitié sont étrangères.Crédits photo : BANQUE DE FRANCE ASSAILLY Pascal

Si les premières pièces d’or ont été frappées en 550 avant notre ère, le précieux métal connaît ses heures de gloire au XIXe siècle avec le triomphe de l’étalon-or adopté par l’Angleterre, le Portugal, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Russie, le Japon, la France et ses partenaires de l’Union latine. Dès lors, l’unité monétaire est définie en référence à un poids fixe de l’or, les règlements nets entre pays sont effectués en or et les réserves des Banques centrales doivent permettre de faire face aux demandes de conversion en or des billets en circulation. Le système perdure, mais après bien des accidents (Première Guerre mondiale, crise de 1929 et dévaluations) la France abandonne la convertibilité en or en 1937. En juillet 1944, avec la signature des accords de Bretton Woods qui consacrent la naissance d’un système monétaire international, le dollar devient l’unique monnaie convertible en or. Mais en janvier 1976, le système s’effondre: c’en est fini du rôle monétaire de l’or.Au cours des décennies suivantes, les trésors métalliques sommeillent dans les sous-sols. Depuis peu cependant, l’or connaît une modernité nouvelle. Avec la crise, son cours a triplé en cinq ans. «Trois facteurs expliquent ce phénomène, reprend Denis Beau, l’augmentation de la demande en bijouterie venue des pays émergents, ainsi que celle de la demande industrielle (l’or présente des propriétés chimiques uniques: inaltérabilité, excellente conductibilité électrique, par exemple, ndlr), et enfin une montée forte de l’aversion aux risques de crédit face auxquels l’or constitue un point de repli important. On constate aussi, et c’est une nouveauté de ces dernières années, un phénomène de financiarisation de l’or dû à l’intérêt que portent désormais les gestionnaires de portefeuilles aux matières premières – et à l’or en particulier.»
Des éclairs jaunes qui enflamment le regard humain.
Une volatilité nouvelle qui a parfois un prix. Soucieux de dynamiser le portefeuille en devises de la France, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Économie, s’accorde en 2004 avec le gouverneur de la Banque de France pour une vente de plus de 580 tonnes d’or. Le ministre indique cependant que «le rythme de mise en oeuvre du programme de vente» devra dépendre du jugement du gouverneur de la Banque. Exécuté entre 2004 et 2009, le programme est épinglé par la Cour des comptes. Motif: en 2007, la crise financière provoque l’envolée du cours de l’or. Un changement qui, selon les sages, aurait dû freiner le programme de vente pourtant mené jusqu’à son terme en 2009. À la Banque de France cependant, l’opération est défendue, les dollars achetés à bas cours ayant été, selon l’institution, profitablement placés.

Un mur de lingots d’une valeur inéstimable.Crédits photo : BANQUE DE FRANCE ASSAILLY Pascal

Plus que jamais prisé du grand public, l’or fascine, avec, comme disait encore Zweig ses «éclairs jaunes qui enflamment et excitent d’une façon si curieuse le regard humain». Pourtant, sur l’or de la Banque de France, on ne disposait que de très peu d’informations. Jusqu’en 2003, lorsqu’un jour le Caissier Général découvre dans la Souterraine un coffre empli de documents. Il s’y trouve empilées toutes les tribulations de l’or de la Banque de France pendant la Seconde Guerre mondiale. De rapports en correspondances, elles révèlent la fantastique aventure du trésor français. Fondateur de la mission historique de la Banque de France, directeur général honoraire de la BDF et auteur du très documenté Les Secrets de l’or *, Didier Bruneel, s’en empare. «Après tant d’années passées à la Banque de France, découvrir tant de nouvelles choses, c’était formidable!» s’enthousiasme-t-il. Au regard de ces documents, l’or prend vie. Il y est question de voyages invraisemblables, de transferts et de déménagements abracadabrants, depuis le début des années 1930 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Les agents autorisés à manipuler l’or portent gants, corsets dorsaux et chaussures de sécurité.Crédits photo : BANQUE DE FRANCE ASSAILLY Pascal

Mais les aventures de l’or ont débuté bien avant. Une anecdote entre mille: nous sommes en 1871, c’est la Commune. On redoute une prise de la Banque par les Communards. L’or se trouve alors dans les caves de l’hôtel de Toulouse, siège de la Banque. La salle forte, longue de 32 mètres et large de 8 mètres est haute de 4 mètres. Elle n’est accessible que par un étroit escalier en colimaçon où deux personnes ne peuvent se croiser et dont le sommet est clos par une lourde plaque de fer. L’évacuation de l’or n’est plus possible et le temps presse. À la Banque on cherche une solution pour protéger le trésor. Il sera finalement décidé d’ensabler l’escalier menant à la salle forte jusqu’en son sommet. La Commune ne prit jamais l’or de la Banque de France.

 

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